Un hillbilly perdu en ville


C'est posté maintenant, mais l'histoire commence bien avant. Avant l'été, avant le printemps et le dégel, avant le froid, la glace et même la slush brune. En gros, avant l'hiver. Ça commence quand j'ai eu un nouveau boulot. Ça faisait seulement deux semaines que j'y étais. Mon bureau sentait encore le parfum de la fille qui était là avant moi. Elle avait du goût je crois. J'arrive un matin pluvieux, passe par le Café étudiant et ramasse un double espresso bien serré. Oui, je passe par le Café étudiant, parce que je travaille au Collège Ahuntsic et que dans un cégep, comme dans les universités, il y a un café. Et des étudiants. D'habitude en tout cas, mais pas cette année. 

Ramenant mon précieux café à mon bureau, je croise Pascale. Pascale marche doucement avec son vélo, un bel hybride qui a de gros pneus. Elle avance lentement, nonchalamment, normalement. Que fait-elle ici à l'intérieur de ce lieu de savoir avec "ça" me dis-je? Comme elle est sympa, je lui demande: "Pascale, ton bike...wtf ?" Un sourire, une allure, elle répond en me regardant comme si j'étais un hillbilly perdu en ville: "ben on a le droit de le garder dans notre bureau si y'a d'la place, tu l'savais pas?". À ce moment précis j'ai entendu la première stance des célestes Lagrime di San Pietro partout dans l'agora du Collège tandis qu'un halo d'une lumière pure et divine m'enveloppait. Cette révélation propulsa mon cerveau vers le futur: au printemps je pourrai aller travailler en bike et le garder en sécurité dans mon bureau, à un clin d'oeil de toute mon attention. Ébranlé, j'ai repris mon chemin vers les tâches qui m'attendaient. Merci Pascale, je venais d'avoir une solide augmentation. Sauf que deux jours après la révélation, c'était l'hiver. Merde, j'allais devoir attendre avant de la casher.

Le Collège le matin de la première journée
de La grève.
Et bien pourquoi pas, puisque je le peux!

Heureusement le printemps revient tout le temps un moment donné. D'habitude je trouve une manière de m'évader pour aller grappiller quelques bornes là où c'est possible, juste avant que ça devienne roulable dehors à Montréal. Mais cette année je ne pouvais pas partir. Dans les premières semaines de mars j'ai détesté facebook. Je voyais que tous les copains étaient à un camps d'entraînement quelque part. Ils y étaient tous! Certains en Virginie, d'autres à Cuba et même encore d'autres, plus ratoureux, dans le sud de l'Ontario. Je les haïssais, je les  haïssais, je les haïssais tous ces mécréants qui se trouvaient en pays cyclable alors que moi, moi!, j'étais pris ici à endurer le froid, la saleté printanière de Montréal et les routes de Tony Accurso. Mais au moins, merci à mon employeur, je pouvais me rendre au boulot avec mon "vrai" vélo, y prendre une douche, et -surtout- sortir du bureau à la fin de la journée pour profiter de la clarté printanière. Quel bonheur, quel stimulant pour l'esprit que de savoir qu'à la fin de la journée je pouvais me diriger directement vers le Mont-Royal pour y revendiquer mon titre de roi de la montagne. En mars ce titre était d'autant plus agréable à défendre que tous les compétiteurs potentiels s'étaient exilés hors de Montréal! Les choses ont rapidement changé à mesure que les snowbirds du vélo rentraient d'un sud ou d'un autre, affûtés et basanés.


La terrible machine de ma collègue Catherine.
Sur le tube horizontal, un nom: Tonnerre.
Elle l'a changé depuis.
Elle va plus vite qu'elle dit.
Au printemps, dans ce cégep vide délaissé par les étudiants, le moindre bruit faisait un tintamarre disproportionné: quand j'entrais dans le collège avec mon kit de roadie, cuissard et maillot de team Spidertech -mon équipe préférée- et surtout mes souliers Sidi, je ne passais vraiment pas inaperçu. Mais maintenant qu'on est rendu à la St-Jean, ça va, plus personne ne porte attention à mes apparitions dans les corridors déguisé en coureur WorldTour. D'ailleurs pourquoi attirerais-je l'attention puisque plusieurs collègues se rendent au travail à vélo sur une base quasi quotidienne? Ils font ça comme ça, naturellement, sans que notre employeur ne ressente l'envie d'en faire son auto-promotion en affichant sa bonne conscience écologique alléguée. On sait pourtant que d'autres le font chaque année de manière routinière et sans gêne. Certains sont même dans le monde du vélo: je les trouve pas mal drôles avec leurs dépêches de presse annonçant leur "politique pro-cycliste" et suintant le prêchi-prêcha.


L'horizon depuis le haut de la côte de
 la Polytechnique. Comme le dit 

"monsieur" capitaine Éric Moody:
 "touche pas aux freins, saute
la bosse de ralentissement et
espère que le feu de circulation tombe
 au vert (tombeau ouvert !!)
 quand tu passes".
Juillet au collège

Après la St-Jean, c'est juillet et qui dit juillet dit vacances. Du moins, c'est comme ça quand on est du Québec, de surcroît quand on travaille dans un cégep. L'immeuble va se vider encore un peu plus de ses habitants. Sauf que cette année moi je reste à la shopMême qu'il y aura pas mal de pain sur la planche. Ça ne me déplaît pas. Un autre phénomène qui ne me déplaît pas: en juillet Montréal change de composition sociale. Tandis que tout ce que le Québec compte de vacanciers se déverse dans la ville, les Montréalais, eux, quittent massivement leur île à la recherche d'une campagne verdoyante. Parmi les arrivants il y a peu de cyclistes. Par contre il y en a des masses parmi les partants. Qui va à la chasse perd sa place, c'est connu, et après ma domination du printemps,je repartirai à la conquête de mon titre de roi incontesté de la montagne. Ce sera mon second moment de gloire de la saison et ce n'est pas le forfait de tout compétiteur qui va diminuer mon bonheur. 

Quoi? Ma collègue Pascale avait vu juste l'automne dernier: oui, j'ai un tempérament de hillbilly. Et ça tombe d'ailleurs bien puisqu'en juillet à Montréal, la montagne est le meilleur endroit où rouler. 


Commentaires

  1. J'ai repris goût au vélo ce printemps...quel engin merveilleux. Avant, c'est pas que j'avais complètement perdu le goût, mais c'était moins présent. J'aimerais bien pouvoir aller au boulot à vélo moi aussi, mais c'est un peu loin...Bref, je prends ma revanche les weekend en me promenant sur les pistes cyclables qui bordent le Saint-Laurent, comme celle qui mène jusqu'à Ste-Catherie via l'estacade du Pont Champlain...Assez exceptionnel comme endroit...

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