On termine ça en fin de semaine


Petit matin, l’heure du café sur la terrasse. Elle se lance. « Okay, qu’est-ce que t’en penses si on termine ça en fin de semaine »? Je ne réponds pas immédiatement. Je pense au dernier pronostic de Météomédia pour la journée: soleil, 27 degrés, léger vent du sud ouest. Elle se doute bien de ce qui s’en vient. Je réponds doucement: « je pensais plutôt aller jusqu'à Ste-Thérèse, revenir jusqu’à Mascouche en suivant mon rang perdu, passer par la pointe est de Laval et finir -si j’ai encore des jambes- par un ou deux petits tours sur la montagne. La journée est parfaite pour cette ride-là ». 

Ce n’était pas la première fois que je lui faisais le coup. Depuis plusieurs mois nous jouions à intervalles réguliers les mêmes personnages coincés dans une mise en scène bien rodée. Moi le cycliste obsédé, elle la chérie résignée du cycliste obsédé. Hormis les variations de parcours, aucune improvisation n’était possible et, forte de l’expérience acquise depuis le début du projet il y avait alors déjà plusieurs mois, ma chérie savait que la force maléfique qui m’attirait sur la route par un jour aussi parfait que celui-là ne pouvait être contrée. J’ai pris la route comme un voleur quelques minutes plus tard. Je me suis d’ailleurs fait la malle le lendemain aussi. Et bien d’autres jours encore. 

Le vernis est magané, mais j'aime bien
notre vieux plancher en pin noueux.

Stockroom à vélo

De quel projet s’agissait-il ? Un de ceux qui plaisaient autant à ma chérie qu’à moi. Rien de moins qu’une solution pour gérer de manière durable la présence quasi parasitaire de certains de mes vélos qui transformaient notre appartement en stockroom à bécik. J’étais déjà atteint de la maladie de l’accumulation des vélos à l’époque de ma lointaine jeunesse. Mes parents trouvaient qu’ils prenaient pas mal de place mes quatre vélos de route, mes deux vélos de pistes, mes deux gros vélos de montagne bien pesants et toute la ménagerie de roues qui étaient nécessaires pour répondre à mes besoins. Comme ma soeur avait elle aussi deux vélos -rien d’extravagant- et que je faisais pas mal de mécanique à la maison pour les copains, le matériel roulant occupait l’entièreté du sous-sol de la demeure familiale. Ah! la belle époque. Mais depuis ma maladie va beaucoup mieux. Je suis mature. Raisonnable. En contrôle.

Cela dit j’ai -et donc ma chérie aussi a- un problème de gestion d’entreposage de vélo. Dans les plans la solution pour notre appartement était efficace et rapide à mettre en oeuvre. Inspirés d’un porte-vélo simplissime fait maison que le copain Antoine avait trouvé sur un blogue quelque part, nous avions décidé de mettre un des grands murs vides de notre appartement au service de notre confort en le transformant en « mur à vélos ». Quatre vieilles potences et autant de vieux guidons, deux planches pas trop tordues trouvées sous le balcon, un gros tas de visses, quelques tuyaux de plomberie et le tour serait joué: tous mes vélos tiendraient au mur, libérant ainsi le reste de notre maison. FACILE. RAPIDE. EFFICACE. Il en serait fait du vénérable Marinoni de piste à demi assemblé dans un coin de la chambre. Au revoir l’élégant De Rosa appuyé sur le fauteuil dans le salon. Plus jamais le Masi -mon faux vélo italien- n’entraverait l’accès à nos livres dans la bibliothèque. Et mieux que tout: leb wohl ! le Marinoni du Baron Rouge, toujours prêt à prendre son envol dans le corridor. Des jours meilleurs nous attendaient.
La face visible de la patente, derrière la planche
y'a pas mal de câblage pas élégant.

Une belle idée: la lumière!

Dans les faits la réalité a été plus pimentée. Pimentée par moi, mais pimentée quand même. D’abord, nous avons lancé le projet l’été. Quelle idée. Si c’était le bon moment pour poncer les planches pourries, je n’allais quand même pas gaspiller mon précieux temps de selle d’après-travail pour faire avancer le dossier. La fin de semaine venue, il fallait bien rouler: pour les vacances je devais apporter mon vélo et que pour bien en profiter, et bien il fallait avoir un semblant de forme. Pas le choix. Et puis il y a eu des complications. Par exemple, à ma complète stupéfaction, j’ai découvert que les potences ne sont pas faites pour fitter dans les tuyaux de plomberie qui existent ici. L’intervention d’un bidouilleur de l’extrême -le copain Benjamin, le sauveur habituel- a même été nécessaire. Un électricien a aussi été appelé en renfort parce que -oh oui, une autre belle idée- je me suis dit que ce serait bien de mettre un peu de lumière sur le mur, histoire de mettre en valeur mes vélos adorés. Ma chérie était moins convaincue que moi. Surtout quand elle me regardait choisir mon matériel dans les allées du Home-Depot: mon allure de chasseur-cueilleur perdu dans une savane inconnue devait l’effrayer un peu. 
La grosse boîte jaune s'est pas
mal promenée cette année.

Les rénos et ma gestion des priorités

Les semaines devinrent des mois, les saisons ont eu le temps de changer. Oui, les saisons. Un hiver, un printemps, deux étés et deux automnes. C’est qu’il n’y a décidément pas que les rénos dans ma vie et que l’appartement est bien assez grand pour m’autoriser à regarder ailleurs pour éviter que le chantier m’interpèle. D’autant que le chantier n’était pas trop encombrant: deux planches étrangement dotées de potences et de guidons entassées dans un coin. Bien sûr, les vélos étaient partout ce qui n’était rien d’anormal en soit.

En novembre dernier, peu de temps après la fin d’une saison de vélo qui m’a amené à rouler sur presque toutes les routes praticables de la région de Montréal, mais aussi à Cuba, en Provence, en Italie et en Virginie, il m’a semblé que le temps était venu: il fallait terminer mon mur à vélos une fois pour toute. Quand un samedi matin, après avoir rassemblé tout mon courage, j’ai annoncé à ma chérie que je finirais ça durant la fin de semaine, sur le coup, elle ne m’a pas cru. Elle n’attendait plus ce moment. Pour elle, ce mur en chantier faisait partie de l’appartement un peu comme la façade inachevée de la basilique San Lorenzo défigure Florence depuis la Renaissance. Mais comme rien chez moi ne ressemble à un chef-d’oeuvre du Quattrocento -sauf peut-être certains vélos (!)…  valait mieux que je termine mon mur. 


Maintenant qu'on en a quatre de casés, ma chérie veux-tu m'aider à trouver de belles places pour mettre en valeur ton Marinoni adoré, mon Colnago Master Olympic et le cadavre de mon dernier Argon 18 ? C'est l'affaire d'une fin de semaine, max.

:P merci pour ta patience ma chérie. 

La couleur du mur: bleu pétrole.
Ça fait désordre, ça m'a quand même pas été dans cet état longtemps.
En riant, on appelle ça la "pièce muséale".
Mon faux vélo italien: Masi! Il est un peu slopping, mais pas trop: le guidon-support a l'air presque à niveau. C'est plus beau quand le guidon-support est droit, mais en le tournant un peu, ça permet d'avoir un vélo droit et ça c'est beau sur un display!
Le guidon-support semble de travers, mais c'est ma photo qui l'est et j'étais trop paresseux pour la replacer...
Le De Rosa est réellement slopping, mais j'ai exagéré la perspective sur la photo (ça servait mon propos!).

La trouvaille de l'année dénichée au fond de la cave en faisant le ménage: un vieux coffre à outils tout en métal de couleur... bleu pétrole. Pas de doute, il a sa place dans notre pièce muséale. 
Hein, c'est pas beau çâ? C'est San Lorenzo à Florence, sans la façade monumentale que devait lui faire Michel-Ange... c'est ça qu'on veut dire quand on pense à l'expression over sale, under delivery.








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