L'appel de la route IV


(L'appel de la route III)

Pas sûr


Aujourd’hui il pleuvait. Non il mouillait. Non c’était le déluge. Faut savoir qu’une fois sorti du territoire immédiat du resort, c’est une route de campagne à la cubaine qui nous attendait. Cette route allait être mouillée, d’accord, mais surtout elle serait épicée à la bouette et à la glaise, parfumée au fumier et recouverte d’une persillade d’huile à moteur. Charmant en tout point. On était assis sur les fauteuils dans le hall d’entrée, on avait mis nos plus vieilles guénilles à cause de la météo. Et le ciel était gris. Tellement gris qu’il semblait violet. On manquait d’étincelle. Ce matin Daniel prenait le départ avec nous. Il était affalé avec nous. Et puis, comme ça, il s’est levé, a ajusté son casque et nous a annoncé sans ambages: “bon, on y va”. Pis on est parti. L’eau n’était même pas froide. Il n’y avait pas de vent. Ça roulait vite presque tout seul. Et il a fait soleil après 20 km. On en a finalement fait presque 100. Stie que j’étais sale. Une fois revenu à ma chambre, j’ai pris une douche. La baignoire était tellement crottée que j’en ai profité pour y rincer mon bike. J’ai sacré de l’huile sur la chaine et j’ai jugé que son tune up était fait.


"Bon, on y va”. Fallait juste nous le dire. Mais faillait le penser pour le dire.

Pour aujourd’hui on va dire que la messe est dite.


La ride à 15 pesos


Le bus qui nous a ramené à l’aéroport n’était prévu que pour 18h. Ça laissait du temps pour rouler, mais depuis le début je me disais que si on arrivait à faire une sortie le samedi du retour, ce serait un bonus. Juste au cas j’avais apporté un maillot et un bib d’extra. Je suis d’une nature optimiste. Le check out était à 11h, il fallait négocier de quoi pour garder nos chambres un peu plus longtemps. Nos trois premières tentatives de négociation avait été infructueuses et je commençais à me préparer mentalement à regarder la nouvelle batch de torontois fraîchement arrivés boire de la bière en rougissant au soleil. Il y a eu un déclic juste après le petit déjeuner à la faveur de l’arrivée du superviseur des réservations: on avait un deal, vive les négos. Pour 15 petits pesos on pouvait conserver notre chambre jusqu’à 16h. La journée s’annonçait relativement fraîche et le vent ne soufflait presque pas. Dans ces conditions il nous aurait demandé 50 pesos chacun et j’aurais accepté. J’avais envie de courir dans le corridor en rentrant à ma chambre pour me déguiser en super héros.


On a roulé à trois: Martin, Mathieu McGyver et moi. L’autre Mathieu a préféré demeurer au resort avec sa petite famille, histoire de tout paqueter sans se prendre la tête. Ah oui, j’avais oublié de le dire, le voyage avait un volet familial. C’était d’ailleurs parfait parce qu’il n’y a pas mieux qu’un petit bonhomme de 18 mois pour vous faire passer l’éventuelle envie de vous défaire complètement la face au bar todo incluido.


C’était notre derrière sortie au chaud avant un long moment. Bientôt il allait falloir nous déguiser en cosmonautes pour nous adonner à notre folie cycliste. On en avait conscience. Alors -finalement- on a fait ça comme des grands et on a roulé constant. En fait, on l’a fait presque tout le temps, parce qu’il faut bien que je le dise, pour une fois je me sentais vraiment très bien. Même les longs faux plats n’affolaient pas mon rythme cardiaque. La chaleur n’avait plus d’emprise sur moi. Celles et ceux qui ont lu le livre d’Hamilton comprendront la référence: c’était comme rouler sans chaîne. La belle figure de style! Un jour de grâce certainement, un rare.


On est encore allé jusqu’à Holguin. Sans raison, on s’est même enfoncé assez loin dans la ville. C’est dépaysant une ville cubaine le samedi. Ça circule dans tous les sens. À pied, à vélo, à moto, en auto, en carriole, en bus, mais pas à cheval. Le cheval c’est pour les paysans. On n’a pas traîné. 50 km de vent de face nous attendait et ce n’était pas le temps de couper nos pneus sur une des milliards de cochonneries qui décoraient la rue d’Holguin. Le tourisme traditionnel, on le fera une autre fois.


On roulait donc presque piano piano, le coeur léger et le pied tout de même plutôt pesant. À environ 30 km du resort, on a remarqué que doucement mais sûrement, on rattrapait un groupe de triathlètes. Loin devant nous, tout petits, on les voyait lutter contre les éléments. C’est bien pour dire, on n’y avait pas eu droit de la semaine, mais il semblait maintenant évident que nous n’allions pas y échapper, nous allions peut-être rouler avec quelques spécialistes de l’effort optimisé. Je crois que c’est Mathieu qui a fait en sorte que ça ne se produise pas. Au moment de passer leur peloton, il a augmenté le rythme juste ce qu’il fallait pour faire plier l’échine à nos valeureux consommateurs de gadgets de carbone et de bouffe sans gluten. Pas un n’a suivi. Ils n’ont même pas répondu à mes salutations. Ah là là, c’est bien pour dire, on a des modes de vie semblables, on partage parfois le même habitat et notre alimentation est souvent similaire, mais on n’est décidément pas de la même espèce.   

Quoi? Je suis désagréable avec les triathlètes? Non, mais ça ne s’appelle pas Les Chroniques Attiliennes pour rien. Et puis maintenant que mon De Rosa est couché dans son gros sarcophage jaune et que les vacances sont terminées, j'ai le droit de grogner un peu.



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