Je suis grand, j'achète mon vélo en ligne. L'expérience De Rosa


Je prends mon café un matin. Mon ami Gilles a «posté» un lien sur Facebook. Comme il est une encyclopédie du vélo, je clique. Je me retrouve chez Slowtwitch, un vivarium virtuel pour les triathlètes un peu geeks. J’ai déjà fréquenté ce site quotidiennement pour des raisons professionnelles, mais heureusement je n’ai plus à le faire. L’article que mon encyclopédique et chouette copain diffuse relate avec forces détails les mésaventures homériques d’un pauvre triathlète en mauvaise posture après avoir fait l’achat d’un cadre en carbone directement de l’usine chinoise par l’entremise du site Web de celle-ci. En tentant d’optimiser son budget, notre triathlète, s’est plutôt retrouvé avec un cadre pourri et mal conçu entre les pattes. Pour ajouter l’insulte à l’injure le service après-vente de l’usine semble être à des années lumières de répondre aux attentes de son client insatisfait. Et le voilà en train de gémir sur Slowtwtich ce matin. Pauvre gars! que je me suis dit. En bypassant les fabricants de vélos, il voulait économiser. Sauf qu’il n’avait pas pensé que ce faisant, il se privait surtout des compétences des travailleurs qui oeuvrent pour les vraies marques. Depuis les créatifs de la R&D, qui inventent les vélos et qui dealent avec les usines chinoises, jusqu’aux gens rigoureux du service après-vente, les personnes qui travaillent pour les grandes marques de vélo détiennent une vraie expertise. Haha! Ben tant pis pour lui, que je me suis encore dit, juste avant de prendre la route vers le bureau avec mon rutilant De Rosa que j’ai acheté… sur Internet. Oui, je sais, sur Internet. Anyway, à cette étape-ci, l’histoire reste de même.

Quelques semaines plus tard, alors que j'en suis une nouvelle fois à l'étape du café matinal, je fouine comme toujours sur Facebook. Je vois passer le «post» d’une personne qui demande sur un groupe «c’est quoi la différence entre le 105 et le Ultegra». Le lendemain, le même gars cherche «une bonne place pour acheter un groupe Ultegra sur internet». Le jour suivant, la nouvelle vedette de mon Facebook se demande de quelle sorte de boitier de pédalier il a besoin puis, au grée des commentaires, il atteint un sommet philosophique au cours d’une recherche consacrée aux bienfaits du pédalier compact. Je suis sur le point de le barrer de ma vie virtuelle quand, par magie, ses questionnements cessent. Condonc, il a dû trouver un bikeshop au coin de la rue chez lui. Et non. Dix jours plus tard mon extraverti virtuel réapparait dans mon news feed. Cette fois il se cherche «quelqu’un de bon et pas trop cher pour monter (son) groupe». Enfer et damnation! Dis-je, en m’étouffant dans mon arabica, mais ce bachi-bouzouk ne sait même pas quoi faire avec ses pièces!! Et je prends ensuite la route vers mon bureau avec mon De Rosa acheté sur Internet. Je ne travaille plus dans un bikeshop, ni chez un fabricant, mais tout en roulant, je rumine une indigeste colère qui ne devrait plus être la mienne: il va faire quoi ce gars-là quand il va avoir un problème avec son bike? Il va brailler sur Facebook? Non mieux: il va se rendre dans le bikeshop qui aurait dû être son premier et seul arrêt et il va ensuite brailler sur Facebook qu’il n’a pas eu de service! Ça doit être vrai que je ne suis pas de commerce agréable le matin, spécialement avant le café, mais à cette étape-ci, l’histoire ne restera pas exactement de même. Je vais y mettre du mien.

La chasse virtuelle

Je ne suis ni chaste ni prude. Comme de plus en plus de monde, moi aussi j’achète beaucoup de mon stock en ligne. J’ai d’ailleurs envie de partager une expérience vécue au printemps 2013. À ce moment-là j'ai fait un petit ménage dans mes affaires de bike inutilisées. Au gré des up-grades et des remplacements de pièces, je ramasse et accumule toutes sortes de bébelles qui pourraient encore servir. Cette fois-là je suis tombé sur le jakepot: tout en tas dans une boîte, il y avait un gruppo Ultegra 10v complet. Ça arrive ce genre de chose. On achète, on monte, on roule un peu puis on démonte et on oublie. Même si j'aime bien mieux rouler en Campagnolo, avec sa finition gris acier, cette version déjà ancienne de l'Ultegra m'a toujours plu. Les pièces renvoient une certaine lumière bleu gris intimidante qui n'est pas sans évoquer les composants bien polis qu'on ne voit plus depuis au moins 20 ans. En fouillant un peu plus dans les raccoins j'ai aussi trouvé une superbe tige de selle et une monumentale potence de 120mm, tout deux des Deda Zero100 totalement bling bling. Dans mon esprit tout est devenu clair: il me fallait un beau petit cadre sur lequel installer tout ça. 

Ma définition de «beau petit cadre» impliquait de tenir compte de l’argent (que je n’avais pas). Je sais, l’argent c'est vulgaire et en général il est préférable de ne pas s'abaisser à en parler. Mais la réalité finit parfois par rattraper le cycliste: je n'avais pas les moyens de dépenser bien plus que 1000$ ou 1500$ pour mon futur cadre. Une telle misère calme le puriste dans le cycliste. Je voulais malgré tout trouver quelque chose de géométriquement parfait pour moi et -soyons fou- d’un peu glam, «parce que je le vaux bien», comme le dit le slogan de L'Oréal, même si je suis pauvre comme Job. Une chose était certaine: ma recherche allait se solder par mon premier achat de cadre par le biais du Web. Parce que c'est bien connu: c'est moins cher sur le Web. Tout le monde sait ça. Enfin, c'est ce que les légendes colportent. Alors tel le roi Arthur j’ai débuté ma quête du Saint Graal.

J’ai vite discriminé toutes les contrefaçons de modèles à la mode et les cadres open mold sans nom. Ce marché, c’est le far west et, tout en étant profondément agnostique, je crois à la valeur ajoutée que les gens de l’industrie confèrent à la marque pour laquelle ils travaillent. Mon magasinage se ferait donc sur des sites légits -comme Chain Reaction, Probikekit ou Wiggle- qui vendent des marques connues. 

Bien qu’avec mes 25 ans de grenouillage dans l'industrie du vélo je ne suis pas sans ressource quand je magasine mes affaires, je peux le dire maintenant, acheter un cadre en ligne est vraiment the thrill of a life time. Parce qu'on trouve de tout. Des vélos de marques anciennes qu’on ne voit plus souvent, comme Vitus, Moser ou même GT ont stimulé ma mémoire. D’autres, comme Colnago, Ridley, Wilier, Bianchi et De Rosa souffraient de descriptions incomplètes, imprécises et leurs graphiques de géométrie relevaient parfois de l’ufologie. La plupart des modèles disponibles devaient être des clearouts parce que les stocks ressemblaient à des résidus de ménage d’entrepôt. C’était vraiment pas simple de s’y retrouver. 

Si moi qui aie monté mes premières roues en 1985 et qui aie wrenché professionnellement au moins à temps partiel jusqu’en l’an 2011, je ne m’y retrouvais pas, comment pouvaient s’en sortir le triathlète malheureux et la nouvelle vedette de mon Facebook que j’ai cités en exemple au début de la chronique?

Le cas De Rosa

J’ai fini par trouver quelque chose qui a fait vibrer mon coeur. C’était chez Wiggle. La marque: De Rosa. Le modèle: Milanino. Je me suis tout de suite imaginé prendre la route avec ça en direction du bureau le matin. Contrairement au reste de la gamme De Rosa, ce modèle n'était offert qu’en quatre grandeurs, chacune ayant une géométrie compact.  Le XS semblait correct pour moi. Habillés d’un noir très lustré, les tubes semblaient avoir des formes conventionnelles, ce qui n’était pas pour me déplaire. Mieux encore, le cadre était fabriqué en Italie à partir d’aluminium 7005 butted. Ici il faut marquer une pause. Oui butted, mais butted comment? Calvâsse! L’histoire ne le disait pas. Pas plus qu’elle disait à quoi pouvait bien ressembler la fourche. Il n’y avait pas un traitre mot sur cette fourche alors que Dieu sait que le diable peut y être caché! Bien sûr qu’elle était en carbone, mais jusqu’à quel point? D’ailleurs, quel était son poids? Ah tiens, le poids du cadre n’était pas spécifié lui-non plus. Étrange. Non, louche. Au chapitre des omissions je notais aussi l’absence de toute information au sujet du type de boîtier de pédalier, du diamètre de la tige de selle ou du jeu de direction. 

Comme je suis du genre entêté, je suis allé sur le site de De Rosa. L’appellation «Milanino» y désignait une collection de vélos urbains qui n’avaient rien à voir avec ce que je voyais chez Wiggle. Perplexe, j’ai donc écrit directement à De Rosa pour savoir ce que cette vénérable entreprise pensait du Milanino qu’offrait Wiggle. Je n’aurais pas été plus ému si un des évangélistes m’avait écrit en personne: un matin, en prenant mon café, j’ai lu le courriel que Monsieur De Rosa m’avait adressé. Il me confirmait que Wiggle était un vendeur autorisé pour de vrai, mais il ne disait rien du tout à propos du cadre que je convoitais. La question demeurait donc entière: non mais finalement cossé ça c’te maudit frameset-là? La question faisait appel à des concepts bien trop abstraits pour un gars qui n’en était qu’à son café du matin. Je l’ai donc acheté seulement en soirée. Toute une journée de méditation pour arriver à cette conclusion: fuck it, on verra bien, ou, en latin, alea jacta est.

L’arrivée de la bête

Alors que les magasins de vélo ressemblent de plus en plus à de chics lounges où se pratiquent de savantes études posturales très minutieuses, c'est au bureau de poste de la Place Frontenac dans Centre-Sud que j'ai pris livraison de mon nouveau jouet. Le lieu est tout ce qu’il y a de sordide, en termes d'expérience client je vivais un petit clash. C’est une fois à la maison que j’ai eu le plaisir de découvrir que mon nouveau jouet était aussi bien emballé qu’une faïence antique en transit. Il était en parfait état. Et il était beau! Les soudures smooth weld avaient été traitées avec une infinie minutie. La peinture noire était lisse et uniforme. Tous les petits détails cosmétiques étaient irréprochables. Qu’il était donc beau!! En plus, le colis recelait un petit trésor, le starter kit offert par Wiggle: une imitation de pédales Look cheap, une tige de selle FSA, un porte-bidon, un bidon et une casquette -tous signés De Rosa, un sac de selle Continental, un chambre à air et des clips à pneu, une micro pompe et un échantillonnage de bouffe de cycliste. J’étais comme un petit garçon recevant le plus beau cadeau de sa vie. J’allais assembler ma nouvelle merveille en soirée et cette idée me faisait saliver.

36 x 24

Le fun commençait. La fourche d’abord. Belle surprise, celle-ci est une monocoque carbone de 340g non coupée. Dotée d’épaules bien larges qui suggèrent une importante rigidité latérale -d’ailleurs avérée. Cette fourche est à proprement parler un bijou. La douille de direction demande des cartouches 1-1/8 et 1-1/4 et celles qui sont fournies avec le starter kit s’installent sans difficulté. J’en suis à me demander pourquoi De Rosa ne mentionne pas des aspects techniques aussi positifs dans son sales pitch quand je commence à installer mon boitier de pédalier. Shit de marde! C’est un 36x24. En cette époque où les standards BB30 et le BB86 dominent, est-ce que ça aurait été si difficile de le dire que les ouvriers italiens de l’usine historique située à Milanino en Italie avaient décidé d’utiliser un boitier respectant un standard italien en voie d’extinction?

Envahi par les doutes, notamment au sujet de mes capacités cognitives, je suis retourné sur le site de De Rosa pour tenter de comprendre comment cette information au sujet du boitier de pédalier avait bien pu m'échapper. Rien, il n'y avait toujours rien au sujet de mon Milanino. Par contre, maintenant que j'avais le cadre en main, j'ai compris que mon jouet était en tout point identique à un modèle apparemment distribué qu'en Italie: le team. Parfois les stratégies de marque des fabricants de vélo me déroutent.

Mais revenons à l'assemblage de la bête. J'ai quand même facilement trouvé les cuvettes italiennes nécessaires, mais je n'étais pas au bout de mes peines pour autant: le noir très lustré des tubes beurrassait aussi les filets du boitier de pédalier qui n'avaient pas été nettoyés. Alors que je suis fier de ma compétence de monteur de vélo, rendu à ce niveau, j’étais coincé. Faite à l'os. Je n'avais quand même pas à la maison le tap italien nécessaire pour décrotter les filets du boitier. Pour contourner ce petit problème j'ai dû faire appel au copain Benjamin, mon sauveur habituel et bidouilleur de l’extrême équipé de tous les outils disponibles dans la galaxie. Plusieurs personnes peuvent prétendre être en mesure d’assembler tranquillement leur nouveau bike dans leur salon, mais combien, comme moi, peuvent faire appel à un copain bidouilleur de l’extrême? 

Une gueule de vedette

Le reste du montage a été facile. Avec le Ultegra et les Ksyrium SL que j’ai aussi ressorties d’un placard, je trouvais que ce bike avait pas mal de gueule et j’avais hâte de l’essayer. Je ne peux pas dire que j’ai eu un coup de foudre. Comment dire? Mettons qu’il était pesant du derrière. Comme moi, diront les mauvaises langues. C’était très perceptible en côte, mais aussi à chaque accélération. Il est vrai que des soudures smooth weld ajoutent un peu de poids, mais j’avais peut-être une explication pour le manque de clarté dans la description des tubes utilisés. Plus qu’un manque de clarté, c’est de flou artistique qu’il faut parler: le triangle principal est fait de tubes butted, mais ceux du triangle arrière sont certainement du straight gage assez grossier. 

Ceci dit, le pilotage du bike demeurait d’une très grande précision et son confort était irréprochable malgré sa géométrie compact. À titre de comparaison, mon Marinoni vénéré qui a une taille similaire, a un empattement de 98,3 cm: mon De Rosa est plus court de 9 mm, tout en ayant une douille de direction 13 mm plus longue. Dans la mesure où les triangles arrière sont identiques sur les deux cadres, une conclusion s’impose: la nouvelle merveille italienne que je pilotais était dotée d’un angle de direction plutôt raide qui le rendait très agile. Depuis les routes de Montréal jusqu’à celles de Holguin à Cuba, en passant par les Cantons-de-l’Est, le bike s’avère toujours un peu baquet tout en demeurant paradoxalement agile. Côté comportement, il est donc, malgré tout, à la hauteur de mes attentes.

Mais parfois la plus value secrète des choses qu’on acquière se révèle pleinement dans le regard que les autres portent sur elles. J’avais sous-estimé cet aspect, mais le Milanino doit être rangé parmi ces objets. Les De Rosa sont peu distribués ici au Québec et cette rareté jumelée au prestige de la marque font qu’ils attirent l’attention de certains cyclistes qui en ont vu d’autres. Un soir je roulais doucement sur Camilien-Houde avec mon De Rosa tout en tentant de décanter ma journée de travail. Tiens, j'aurais peut-être dû prendre un autre café avant de partir du bureau, que je me disais. Soudain un rouleur dans la jeune cinquantaine pilotant un avion de chasse furtif s’est arrêté à ma hauteur. On ne se connaissait pas et il s’en sacrait de moi. C’est le De Rosa qu’il regardait. Juste avant de reprendre son vol il a rendu son verdict: «beau vélo, un vélo de puriste». La magie de la marque venait d’opérer. Pas un mot au sujet du p’tit gros qui tentait de l’amener en haut de la côte -et c’est très bien comme ça.

Deux ans après l'achat je peux dire que j'ai été chanceux sur ce coup-là. Il a quand même une gueule de vedette ce De Rosa. Surtout pour un simple cadre en alu. En plus je n'ai eu aucun problème à trouver ma position dessus. C’est ce que je me disais entre deux gorgées de café pendant que je faisais le shooting photo par un bel après-midi au Square St-Louis. Et puis 1000 piasses, c’est juste ça que ça m’a coûté. Pas une cenne de plus. Et tout ça était légit. Ça, c’est sans compter le temps passé en recherche, le temps passé en assemblage et le temps passé en bidouillage. Ça, c’est sans compter le pari que j’ai fait en l’achetant sans vraiment savoir ce que j’allais recevoir. Ça, c’est sans compter que j’étais capable d’évaluer les dimensions du cadre et que j’assumais que je pouvais probablement me fitter dessus. Ça, c’est surtout sans compter que j’aurai toute la misère du monde à faire valoir une garantie si le cadre casse en passant sur un nid de poule. Est-ce que pour vous tout ça vaut entre 350$ et 400$? Parce que pour un produit de cette valeur, c’est environ le montant que se prend le bikeshop près de chez vous pour assumer tout ça. Pensez à ça quand vous magasinerez votre prochain frameset en ligne. Et pourquoi pas, pensez aussi à l'histoire du triathlète et à la vedette de mon facebook dont je parle au début de mon histoire.


**Remerciements attiliens à Frankoÿ pour ses roues bling bling que j'ai eu le plaisir de monopoliser durant presque deux semaines pour faire mon photoshoot. Ben le photoshoot, c'était la raison officielle en tout cas.

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